FLAMENCA !
Il y a vingt ans, étudiante à l’université de Séville, Cecil Ka a travaillé sur les similitudes et différences entre le Parc naturel régional de Camargue et le Parc national de Doñana, situé au sud de Séville. Deux espaces naturels protégés où les représentations mentales ont forgé des identités fortes, et dont le costume régional est l’une des expressions.
De 2017 à 2019, elle a photographié celles et ceux que le costume sévillan contemporain transforme en une autre version d’eux-mêmes les jours de fête.
Afin de montrer les transformations induites par l’incarnation de l’identité reflétée dans le costume, la photographe fait également poser la personne au naturel, simplement vêtue d’un tee-shirt gris.
Cecil Ka se place juste avant la fête, lorsque les corps sont disponibles et déterminés, leurs prunelles dans les nôtres.
Les images vont par deux, elles nous parlent par paire, mais elles sont en vérité triples.
Une image interstitielle se forme dans le manque, dans la tête du regardeur.
Photographe du visible et de l’invisible - de l’entre-deux - Cecil Ka délaisse la question de l’instant au profit de la mise en relation : nous les regardeurs et elles : les images.
Replaçant les enjeux du portrait dans le champ de l’art contemporain. Cecil Ka tisse le lien entre eux et nous, entre la tradition du genre et sa postérité. Des images impossibles, et pourtant en nous. Les images ont toujours été là, les corps, les visages, les regards ont toujours tournées autour d’elle.
Est-ce grâce à l’incertitude de notre être au monde que les photographes travaillent à donner au visible des visages ?
Est-ce pour calmer les tressautements de l’existence que Cecil Ka place des femmes (et quelques hommes) au-devant elle ?
Des femmes parées de leur lumineuse simplicité ou de leurs plus somptueuses tenues de célébration.
Elle construit une matriarchie superbe et universelle de Brooklyn aux rues de Séville, des dimanches à Arles aux barrios de Mexico ; là où la mort et la fête se mêlent comme une évidence.
FLAMENCA ! _ Jean-Paul Cassulo, psychanaliste, mars 2020
Les doubles portraits de Cecil Ka posent d’emblée une double question:
Qui sont ces femmes et ces hommes?
Qui est Cecil Ka?
Il ne s’agit pas ici de la question du double, qui a traversé l’histoire de la représentation et dont la photographie s’est emparée à sa façon depuis un siècle et demi, mais précisément de celle de l’identité.
Que nous disent ces images?
Quelles parts du réel et du fantasme les constituent?
La récurrence de la pose, de la lumière, de l’ordonnancement, le syntagme des photographies, ne font pas mystère de l’obsession de la démarche.
Elle a ici la double fonction de mettre le pittoresque à distance en nous rapprochant de la « persona ».
Les prises de vue donnent à voir une dualité amplifiée.
La visibilité de la tenue traditionnelle et l’uniformité du tee-shirt gris interrogent dans le même temps sur la construction de la singularité des individus au sein d’un même groupe d’appartenance.
Ces signes représentent une part constitutive non réductible de l’identité.
Mais que regardent ces femmes et ces hommes au-delà de l’objectif du photographe?
Que cherchent-ils à dévoiler ou à cacher d’eux-mêmes sous leurs tenues d’apparat aux couleurs éclatantes?
La vérité de leur être serait-elle plutôt à chercher sous la simplicité feinte d’un tee-shirt gris?
C’est à un double dévoilement que nous convie Cecil Ka.
D’une part, celui de la vérité de ses modèles qui n’apparaît pas tant dans l’unité sans parure que dans celle, à la fois codée et sophistiquée, corsetée et provocante, d’une beauté saisissante parce-que vêtue d’une éclatante liberté.
D’autre part, celui de la vérité de la photographe qui, en nous montrant les images de cette quête d’identité dont elle participe, nous interroge en même temps sur l’acuité relative de notre regard face à la question de la représentation.
Et cette représentation d’un monde réel en lumineuses tenues nous en dit bien plus sur la singularité de chaque psyché que l’illusoire vérité recouverte par du coton gris.
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